Lorsque Bernard-Marie Koltès, en 1988, écrit Roberto Zucco, il part d’un fait divers, survenu quelques mois plus tôt. Il métamorphose le serial killer à la « beauté fabuleuse » en un personnage de théâtre, ambigu, violent sans jubilation ni motivation, à la dérive, finalement perdu, comme Samson, par la trahison d’une femme. Et si Roberto est, selon le titre, le héros ou l’antihéros de la pièce, cette dernière dessine en réalité une autre trajectoire, parallèle à la sienne, celle de la Gamine, avec qui il couche, qui s’éprend de lui mais qui le dénoncera à la police. Deux lignes de vie se croisent ainsi au début et à la fin de la pièce, deux destins tragiques inscrits dans des cercles concentriques, dans des prisons d’égoïsme et de tension dont Roberto et la Gamine tentent de s’extraire : la famille, le quartier, le monde.
Ni monstre, ni héros, le Roberto de Richard Brunel est un homme qui tout à coup déraille sans que l’on sache pourquoi, un révélateur de béances et de failles chez tous ceux qu’il rencontre. Il est alternativement visible et invisible, il se fond dans des jeux de lumière ou d’espace qui l’aveuglent ou le dissimulent. Il apparaît et disparaît. Sa course sans but se construit ou se déconstruit au gré de la succession des scènes prises sur le vif, juxtaposées selon un principe de montage, construisant un dangereux jeu de cache-cache dont la Gamine sera le vainqueur.