
|

Kateb, un visionnaire et un brûleur d'illusions
Med Hondo met en scène la Guerre de 2000 ans, de Kateb Yacine.
Une fresque qui raconte l'histoire de l'Algérie et du continent
africain...
Lire
l'entretien réalisé par Zoé Lin
dans l'Humanité du 3 nov. 2003.
"Contes du sud"
Il y a dans ce spectacle enjoué toute la malice de Med Hondo qui
en signe la mise en scène. Sur l'immense plateau du Théâtre
Gérard Philipe de Saint-Denis, le ciel s'embrase des couleurs d'incendies
jamais éteints. La Guerre de 2.000 ans disait Kateb Yacine, la
guerre que rien jamais n'apaisera. Délibérément drôle,
ce spectacle est un hommage à tous les Arlequins de la rive sud
de la Méditerranée. Près d'une vingtaine d'interprètes
- des hommes surtout, les fauteurs de troubles - et cette magnifique ouverture:
Laurence Bourdil-Amrouche, armée telle Roundja, interprète
d'un éclat puissant, d'une profondeur bouleversante.
Armelle Héliot. Le Figaro. 30 octobre 2003
"2000 ans, une odyssée sans souffle"
Sur le plateau couvert de sable ocre, l'essentiel se passe à l'intérieur
d'un large cercle que délimitent les flammes de chandelles jamais
éteintes. Le fond de scène est un écran où
flotte un soleil sombre. On se rappelle que le cinéaste Med Hondo,
de Mauritanie, eut du succès avec un film intitulé Soleil
O en 1971. Mais que dire du spectacle qu'il met en scène à
partir de La Guerre de 2 000 ans , de l'écrivain algérien
Kateb Yacine? Un bon acteur de petite taille, Nouari Radjai, figure quelques
minutes Hitler et, tout du long, un membre du choeur, avec un fort sens
du rythme. Sa présence ne suffit pas à sauver l'entreprise
pédagogico-théâtrale de son simplisme.
Mathilde La Bardonnie. Libération. 3 novembre 2003
Autour d'une aire de sable ocre, à Saint-Denis, où une
rue porte désormais le nom de Kateb Yacine, le cinéaste
Med Hondo réunit une distribution qui, tout comme la fresque du
dramaturge algérien, nous emporte de l'autre côté
de la Méditerranée mais aussi au-delà: ainsi Myriam
Tadessé est l'Africaine et Laurence Bourdil-Amrouche une reine
berbère puis La Voix de l'Histoire. En vingt séquences,
de l'islamisation des Aurès à la marche verte organisée
par Hassan II, Yacine brossait d'une plume alerte, acide, révoltée,
une série de saynètes où l'art de la commedia dell'arte
élude d'un sourire non pas le cri, mais le didactisme. Med Hondo
n'évite pas les pièges d'une certaine imagerie attachée
au Maghreb.
Odile Quirot. Le Nouvel Observateur. 6 novembre 2003
L'histoire du Maghreb vue par Kateb Yacine
Le Kabyle, nourri de Rimbaud et de Lautréamont, le romancier
de Nedjma - salué par la critique dès sa parution en 1956
-, s'est tourné vers le théâtre pour faire entendre
la poésie, la forme la plus apte à rivaliser avec la force
des "terribles persécutions qui remontent à la nuit
des temps". "Dans le théâtre, le verbe poétique
trouve son public", affirmait-il.
La nuit des temps, le poète la convoque dans La Guerre de 2.000
ans, une pièce de 1974 restée inachevée, qui parcourt
l'histoire du Maghreb, depuis la conquête arabe jusqu'au présent
de l'Algérie et du Maroc.
Moins connue que sa pièce Mohamed, prends ta valise, La Guerre
de 2.000 ans (Le Seuil) est un texte composite, mêlant tableaux
historiques et fulgurances poétiques, épopée et bouffonnerie,
aussi désordonné et trouble que l'histoire évoquée.
Dès la première scène, la voix libre de Kateb Yacine
résonne à travers les propos qu'il met dans la bouche de
Kahina, la reine berbère qui combattit l'envahisseur arabe et musulman:
"Ils voilent leurs femmes pour mieux les vendre. Pour eux, la plus
belle fille n'est qu'une marchandise. (...) Il ne faut surtout pas qu'elle
parle, qu'on l'écoute. Une femme libre les scandalise. Ils ne peuvent
pas comprendre, aveuglés par leur religion."
La conquête française, les nombreuses révoltes sévèrement
réprimées par l'armée coloniale, l'enrôlement
forcé des villageois africains lors des deux guerres mondiales
: tout cela est croqué par Kateb avec un mélange explosif
d'humour et de tragique. Les scènes consacrées à
l'histoire du Maroc montrent le roi Hassan II et son sinistre général
Oufkir en dictateurs d'opérette, ridicules affairistes soutirant
leur part personnelle de bénéfice aux dealers américains
du pétrole.
Le metteur en scène Med Hondo a su trouver une tonalité
faite d'images et de musique, à la juste hauteur de ce chaos du
mot et du fait. Ce cinéaste mauritanien, auteur de Soleil O et
de Bicots-nègres, vos voisins, renoue avec ses débuts au
théâtre. En homme de l'image, il installe, comme scène,
un large cercle de sable entouré de bougies rouges, sur lequel
évoluent, dans une gestuelle très chorégraphique,
les acteurs vêtus de costumes splendides.
En choisissant une distribution cosmopolite, mêlant des comédiens
français d'origines noires et arabes et la compagnie algérienne
de théâtre de rue Masrah Tedj, il apporte au texte une polyphonie
supplémentaire. Il les fait chanter sur scène, entraînés
par la comédienne d'origine haïtienne Mariann Mathéus
et le musicien kabyle Saïd Akhelfi. En voix off, résonne le
timbre de la cantatrice kabyle disparue Taos Amrouche, dont la fille,
Laurence Bourdil-Amrouche, interprète ici le rôle de la Kahina.
En révélant ainsi une certaine négritude du texte,
Med Hondo rend justice à Kateb Yacine, qui affirmait : "Toute
séparation insidieuse du continent entre Afrique blanche et Afrique
noire est une imposture, car basée sur la race, afin de diviser
pour régner."
Catherine Bédarida, Le Monde, 10 nov. 2003
Tout le monde, ou quasi, de l'auteur de Nedjma prend donc corps sous
nos yeux, grâce à un copieux effectif de comédiens,
pour la plupart maghrébins, qui témoignent d'un plaisir
manifeste à jouer une fable dont la hardiesse de ton, l'intelligence
libre, les vertus poétiques à tous accessibles font le prix.
On souhaite à La Guerre de 2.000 ans de rencontrer son public
naturel: la foule de ceux qui ont à voir avec une histoire de toutes
parts travestie, que Kateb Yacine sut si bien rétablir, concrètement,
avec un grand rire, dans son aveuglante injustice fondamentale.
Jean-Pierre Léonardini. L'Humanité. 10 nov. 2003
Grand auteur algérien, Kateb Yacine cultivait un regard politique
acéré et un amour du peuple qui faisaient de lui un indépendant
incommode. Quatorze ans après sa mort, La Guerre de 2.000 ans
continue à se moquer des puissants, colons, chefs de tribu, militaires,
politiciens. En moins de deux heures, ce non-aligné conte deux
millénaires de l'histoire du Maghreb. Dans sa première partie,
la succession saccadée des tableaux n'est pas toujours claire,
pour des étrangers au monde arabe, mais elle devient follement
incisive quand elle évoque les périodes récentes.
Laborieux et brouillon au démarrage, le spectacle trouve peu à
peu sa vitesse de percussion, avec de grands moments d'insolence.
Gilles Costaz. ZURB@N, 19 nov. novembre 2003.
|