Lydia Tchoukovskaïa, femme de lettres, arrive pour la première fois chez la grande poétesse russe Anna Akhmatova le 21 novembre 1938. Lydia décide de transcrire ces entretiens avec Anna Akhmatova et de tenir le journal de leurs rencontres quasi quotidiennes pendant vingt-cinq ans. Nous sommes en pleine purge stalinienne. Anna est alors interdite de publication, son fils est emprisonné dans les camps, le mari de Lydia a été arrêté… Continuer à se parler, c’est se sauver. Prolonger le poème, c’est tenir envers et contre tout. Aussi les deux femmes parlent, de poésie, de littérature, de fourchettes introuvables et plus tacitement de leur époque et du régime. Anna Akhmatova, risquant sa vie en gardant chez elle les poèmes qu’elle écrit, les fait apprendre par cœur à Lydia avant de les brûler.
Pour approcher l’urgence de dire qu’ont connue ces deux femmes, leur clandestinité, leur peur, leur résistance, Isabelle Lafon et Johanna Korthals Altes utilisent un dispositif remarquablement simple : assises à une table recouverte de livres, elles apparaissent au bon vouloir des spectateurs qui, équipés de lampes torches, les éclairent. La mission confiée à l’auditoire consolide son écoute, qui renforce à son tour la portée du dialogue entre les deux femmes.
C’est le théâtre qui jaillit, dans ce qu’il a de plus élémentaire et irremplaçable : une parole qui prend son sens d’être éclairée et entendue par ceux venus la recueillir en silence.