Pour Jean-Yves Ruf, Jachère pourrait être, après Chaux vive et Silures, le troisième volet d’une « trilogie des bars ». Cadre de ce nouveau poème de plateau créé au fil des répétitions, le bar est un îlot où s’extraire du rapide courant qui charrie les soucis et les obligations de la vie quotidienne. En panne, au ralenti, le débit de boissons abrite des hommes qui végètent parmi des rites, des rêveries et des mythes ressassés, et que ne réveillent, par sursauts, que le désir, la force ou les imprécations des femmes qui tiennent ce lieu instable. Sans adapter les Chroniques de l’oiseau à ressort d’Haruki Murakami, Jean-Yves Ruf et ses compagnons prennent pour terreau commun le début du roman dans lequel un homme au chômage, en jachère, pas encore hors circuit mais pas non plus actif, explore son quartier et découvre un puits sec dans lequel il descend.
Chantier ouvert ou abandon signé, les zones de dépression – et le bar en est une – mûrissent un rebond ou amorcent une noyade. Comme un des cercles de Dante, et nourri des écrits d’Emmanuel Bove, Jachère réunit des clowns au bord de la chute, dont l’existence en arrêt ne connaît ni satisfaction ni consolation. D’abord musicien, le metteur en scène Jean-Yves Ruf construit la verticalité d’une mythologie, avec ses hauteurs, ses limbes et ses enfers, faite de différentes strates grâce à différents sons. Aussi, bruissements d’ailes et chants a capella émaillent le spectacle ponctué d’images ritournelles, obsessions qui paraissent de façon fugitive, comme des débuts de rêves ou des souvenirs fantômes.