On l’a vu la saison dernière avec les œuvres d’Akhmatova, Erdman, Dostoïevski, Tchekhov, Grossman, les personnages des oeuvres russes possèdent un sens aigu de la tragédie douloureuse, de l’exaltation métaphysique et de l’indolence poétique.
Il faut croire que leurs élans, si stupéfiants du point de vue français, sont le fruit d’une psychologie fort éloignée de la nôtre. Leur déraison dépasse bien souvent notre entendement cartésien, notre goût pour l’ordonnancement des concepts et des sentiments.
Alors, que présager d’une rencontre entre un metteur en scène français, Jean Bellorini, et une troupe d’acteurs russes, celle du théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg ? Fascination, malentendus, reconnaissance… Sur le plateau, la densité de deux cultures de théâtre.
Il faut alors choisir une matière de travail. Faire le choix d’un auteur israélien, Hanokh Levin, porteur d’une culture toute autre, renommé pour son écriture satirique et son humour noir. Choisir une comédie « avec deux mariages et deux enterrements » mais sans héros, une comédie où les personnages se débattent avec une certaine volupté dans leur compromission. Mécontents de leurs existences minuscules, ils revendiquent comme un dû une médiocrité de confort. Sans s’en donner vraiment les moyens, car tout semble déjà perdu. C’est cette chute qui n’en est pas une – puisqu’ils sont déjà tout au fond –, qui rend leur quête poétique. Par fulgurances, ils touchent alors malgré eux à la beauté.
Nul doute que l’énergie démesurée de « l’âme russe » n’abdiquera jamais devant ces combats sans péril et sans gloire. Il faut parier sur le choc, la révolte, la vie qui s’immisce et se tord pour atteindre la lumière. Faire de l’ectoplasme un héros malgré tout.