Quand on pense à Satie, on pense Gnossiennes et Gymnopédies, on pense au parapluie noir, au costume de notaire, au canon qu’il tire avec Picabia dans Entr’acte de René Clair.
Quand je pense à Satie, je me souviens qu’un jour – il avait vingt et un ans – il prit ses vêtements, les roula en boule, s’assit dessus, les traîna sur le plancher, les piétina, les aspergea de toutes sortes de liquides jusqu’à les transformer en véritables loques, défonça son chapeau, creva ses chaussures, déchira sa cravate, cessa de soigner sa barbe et laissa pousser ses cheveux.
Quand je pense à Satie, j’entends la machine à écrire en percussion de Parade – ballet réaliste –, j’entends les Nouvelles pièces froides, je joue à Sports et divertissements, au Yachting et à La Pêche, je pense à celui qui, parti d’Honfleur à douze ans, est mort à Arcueil où il s’occupait si gentiment des petits. Enfantillages pittoresques en bas de la chambre sans eau où il vécut quinze ans entre cageots et pianos. Scandaleux ? « Plus de scandale ! Les scandales sont trop scandaleux et scandalisent tout le monde ! » Quand je pense à Satie, je pense à Debussy qui l’aimait tant, aux Préludes flasques et à la Musique d’ameublement.
Mon Satie est celui qui rageait, qui buvait, qui marchait tant et tant, qui racontait des histoires et se taisait, qui jalousait, qui écrivait et de la musique et des mots. Toujours En habit de cheval, vivant dans la misère, tiré à quatre épingles mais sans chemise… « Passons. Je reviendrai sur ce sujet. »
Mon Satie est celui qui ne respirait pas « sans avoir auparavant fait bouillir son air », celui qui conseillait : « Si vous voulez vivre longtemps, vivez vieux… »
Nous sommes comme le parapluie d'Erik Satie. Bien tristes de l’avoir perdu.
Agathe Mélinand