Adolf Eichmann a été jugé en 1961 en Israël, à Jérusalem, et plus précisément dans un théâtre, La Maison du peuple, transformé à cette seule occasion en tribunal. Aujourd’hui, Le Théâtre Majâz fait également de la scène le lieu d’examen de la construction de l’Histoire et de sa transmission. Loin de reconstituer la vie ou le procès du haut fonctionnaire nazi, il réinterroge dans le bourreau la dualité entre « homme » et « monstre » qui a connu un retentissement international lors de ce premier procès intégralement filmé mais qui, selon Lauren Houda Hussein et Ido Shaked, a des racines bien plus anciennes que le XXe siècle et bien plus larges que la seule Allemagne nazie. Plongeant dans la transcription de l’interrogatoire-fleuve d’Eichmann, l’auteur et le metteur en scène ont été frappés non seulement par la « banalité du Mal » pointée par Hannah Arendt et d’autres philosophes, mais par l’interchangeabilité des propos de défense avec ceux de tous les auteurs de génocides, à travers le monde et à travers les âges.
Alors que le nom d’Eichmann provoque à lui seul l’angoisse et la sidération, il apparaît finalement qu’il n’y a personne dans la cage de verre. Eichmann, puisqu’il est remplaçable, n’est personne en particulier. Si c’est un monstre, on ne peut pas le juger. Si c’est un homme, que raconte-t-il de l’humanité? Pour faire résonner les questions qu’a suscitées ce procès, les comédiens munis d’archives procèdent à une enquête, entre réalité et fiction. L’objectif est de sonder le phénomène – qui perdure, et même s’accentue – de mise à distance entre tueurs et victimes, de dissociation entre ordre d’assassiner et crime, et de rassemblement d’hommes-rouages épars sous les étendards de l’épuration, du nettoyage et de l’expansion idéologique.