« L’amour fait ça, toujours. Enfin, le sexe. Enfin, je veux dire, le corps. » Plus confuse que fusionnelle, la non-rencontre amoureuse que décline Alain Gautré dans « dix-huit tranches de vie à l’étal de l’amour » révèle la solitude des êtres humains quand le sexe est une marchandise. À la manière d’Arthur Schnitzler, l’auteur invente une ronde qui fait de chaque personnage le duettiste du suivant. Des couples se forment un instant, passent à l’acte, viennent de le faire ou s’y apprêtent, rivalisant en pathétique, en ridicule, en égarement. L’amour – ou les mots pour en parler – n’étant plus qu’un accessoire pour parvenir à un frisson bien dérisoire, aucune chaleur n’irrigue les contacts entre personnages. Désemparé, chacun se raccroche à l’injonction de jouir à tout prix et s’obstine à impressionner, dominer ou malmener pour se prouver qu’il vit encore.
Dans Impasse des anges, Alain Gautré, par ailleurs marionnettiste et clown, met en scène des corps qui portent le sexe comme un masque. L’humour, par le décalage, amplifie l’âpreté grinçante des dialogues : dans ce spectacle, seul le plateau sera nu. Voici la règle du jeu fictive : au débotté, on a confié la pièce à sept comédiens qui n’ont pour mission que de la jouer. Déboussolés, avec le peu de décor et de costumes dont ils disposent, ils construisent la représentation dans l’urgence. Leur maladresse calculée et leur décence infaillible travaillent en creux la crudité du propos. Au milieu du trop plein de chair, de sexe et de corps que contiennent les mots, l’incertitude fait ressurgir l’humain. Le théâtre est le lieu où avoir chaud ensemble, par la fièvre du rire.