Les trois sœurs, Olga, Irina, Macha… Les trois Grâces, les trois Parques… Tchekhov ne choisit pas innocemment d’écrire pour un trio féminin. Même s’il adjoint au trio une quatrième figure, le frère, Andreï, qui biaise quelque peu le symbole, il n’en demeure pas moins que trois sœurs, cela impressionne. Le charme a agi chez Jean-Yves Ruf dès la découverte de cette pièce à part, profonde, mystérieuse. Elle l’a toujours intrigué, fasciné par son caractère sourd, cette sensation de délitement insidieux qui y gagne les âmes… Il y a bien sûr la lecture ancrée dans l’histoire de la Russie : une aristocratie ruinée, s’accrochant à des valeurs périmées, philosophant avec candeur et optimisme dans un pays au bord du gouffre. Mais Tchekhov offre aussi des lectures plus atemporelles. C’est un printemps déchirant qui travaille ces trois sœurs, elles se battent avec toute l’énergie de leur jeunesse pour trouver un destin à la hauteur de leurs espoirs et pour ne pas perdre toute utopie. C’est une description précise et profonde du passage de l’insouciance héritée de l’enfance à la prise de conscience d’une vie qui passe déjà trop vite, où les possibles se resserrent inéluctablement, où la question du sens se pose avec acuité.
« Si l’on pouvait savoir » est la dernière phrase de la pièce.