Faire d’elle une étrangère à son pays, fuyant l’asphyxie familiale dans la fusion charnelle avec le frère, puis dans l’éblouissement physique de la rencontre avec Jason, le ravisseur, instrument du meurtre du père.
Dire la béance du voyage, le fantasme de désintégration ; puis d’intégration au nouveau Monde.
Raconter l’amour sans morale, sans bornes, rédempteur, mortifère, désespéré. Raconter le désenchantement, l’abandon, la solitude, le lieu commun, inhumain de l’exotisme ; le refus de se soumettre à l’injonction de la place assignée, à la fatalité de la trahison. Raconter le soulèvement et les meurtres (qui ne sont ici que la forme inversée de la passion).
Ramener Médée, vidée de son amour, orpheline de ses enfants, à la terre originelle où, étrangère à perpétuité, elle rejoint l’ombre des parents.
« Étendue jour et nuit dans la caravelle, prête pour le voyage, intacte, glacée, archaïquement belle - mais au fond de mon cœur je ne suis plus qu’un flot de sang - rewind, rewind, please, Jason. J’ai repris le bâton, le sceptre, la mappemonde. Le dernier exil sera le retour à la terre natale que je croyais avoir pour toujours - oblitérée. Je reviens vers ceux que j’ai assassinés, mon frère, mon père et ma maman, pour coucher ma dépouille sur leurs corps disloqués et dans la pourriture me réconcilier avec eux. Dès que j’aurai posé le pied sur le rivage, mes salomés noires encore à la main, à peine débarquée de la caravelle au terme du sidérant voyage, le sel remplira mes fissures, l’âge s’abattra d’un coup sur mon visage, détruisant l’œuvre du chirurgien, et je serai fanée, pourrie, délivrée du fardeau de plaire, et mes paupières fardées, à jamais cousues par les larmes, se refermeront pieusement.»
Médée, poème enragé, Extrait
Programmation internationale hors les murs de la MC93