ÉDITO
À cheval entre Paris et le 93, le TGP est en première ligne de cette démocratisation culturelle censée donner du sens à l’action des théâtres publics. Enjeux artistiques, politiques, économiques et esthétiques maillent les propos de Christophe Rauck à l’aube d’une nouvelle saison.
Cette saison sera marquée par les travaux de rénovation du théâtre, notamment de la grande salle Roger Blin. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ces travaux doivent se faire depuis plus de dix ans. J’imagine que cela montre un intérêt pour ce qu’on y fait et ce qu’on y a fait, qu’un théâtre qu’on rénove est un théâtre dont le projet artistique est reconnu, et protégé des péripéties qu’il a connues dans le passé.
Dans les autres salles et hors les murs, la saison du TGP démarrera en septembre avec Une semaine en compagnie et la création des Serments indiscrets de Marivaux.
L’ouverture de la grande salle se fera en mars avec Le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi..
Après le succès du Couronnement de Poppée, vous renouez donc avec l’opéra ?
Il y a quelques années, nous avions été surpris par l’engouement autour du Couronnement de Poppée. Nous avions eu des représentations extrêmement émouvantes, où les élèves de Saint-Denis, les spectateurs du TGP côtoyaient les spécialistes de musique baroque.
Ce n’est pas un hasard si Brecht mettait de la musique dans ses spectacles, il voulait faire entendre son message au plus grand nombre. La musique suscite quelque chose d’immédiat et le mot « opéra » fait rêver.
Monter un opéra à Saint-Denis, cela résonne singulièrement ?
Il y a certains actes artistiques qui, ici, deviennent des actes politiques. C’est la magie de ce territoire. Un opéra dans un CDN, cela permet d’avoir des places entre six et vingt-six euros. Et le succès de cet opéra à Saint-Denis bat en brèche toutes les idées reçues sur l’art et la création. Pour accompagner Le Retour d’Ulysse dans sa patrie, nous renouvelons un dispositif de sensibilisation qui fait entrer une chanteuse lyrique avec un musicien et son épinette (un petit clavecin) dans les classes partenaires. Ils y racontent et chantent les moments-clés de l’histoire de l’opéra. Dès qu’un artiste entre dans une classe, il se passe quelque chose de fort. Il y a deux ans, nous avions grâce à cela permis aux jeunes gens d’avoir des repères pour entrer plus facilement dans l’opéra.
Cette saison sera également moins axée sur des textes contemporains que la précédente. Pourquoi ?
Cette année, il y a aussi des textes contemporains, portés par des jeunes équipes qui ouvrent et qui clôturent la saison: Soda, dans le cadre d’Une semaine en compagnie, J’ai couru comme dans un rêve ou Les Barbares et L’Entreciel dans le cadre de Vi(ll)es.
Sans oublier Whistling Psyche, de l’auteur irlandais Sebastian Barry, mis en scène par Julie Brochen.
Les neuf propositions de spectacles pour le jeune public sont autant de fenêtres ouvertes sur la création théâtrale d’aujourd’hui. Je n’aime pas cette querelle entre le contemporain et le répertoire, qui marquerait la frontière entre les modernes et les anciens.
D’ailleurs, dans les oeuvres de répertoire programmées cette année, il y a de multiples résonances avec le monde d’aujourd’hui. Pour ne donner qu’un seul exemple, Iphis et Iante, le texte d’Isaac de Benserade mis en scène par Jean-Pierre Vincent, est d’une actualité incroyable. Devrait-on s’en priver parce qu’il a été écrit il y a plus de trois cents ans ?
À travers vos programmations, on a du mal à cerner votre ligne esthétique…
J’adore raconter des histoires et que l’on m’en raconte. C’est ça, le fil conducteur de la programmation. J’aime lorsque l’esthétique d’un metteur en scène éclaire une oeuvre ou un propos tout en ayant la délicatesse de ne pas l’affadir par un geste superficiel.
Pour sa programmation, un théâtre doit-il aussi tenir compte du public qui l’environne ?
On ne fait que ça, la programmation et toute la politique d’action artistique sont reliées à cette question : faire venir et sensibiliser le plus grand nombre de personnes aux oeuvres qui composent notre patrimoine commun. C’est toute la légitimité d’un centre dramatique national.
Si un CDN se doit de tout tenter pour remplir cette mission, son rôle est aussi de relayer l’action de ceux qui se battent pour que d’autres aillent mieux. C’est pourquoi, dans cette brochure, on donne la parole à des acteurs de terrain, professionnels de l’enseignement, de la santé… qui portent témoignage de leurs conditions de travail et de leur investissement dans une France où l’on ne nous parle que de dette.
Propos recueillis par Éric Demey