Assis sur nos bancs
« Vous en avez assez de cette bande de racaille ?
Eh ben… On va vous en débarrasser !… »
Assis sur nos bancs, on n’a pas bougé un cil. À peine un aller-retour chez l’épicier
pour faire le plein en gazouz et en papier à rouler. On pensait que les choses se
tasseraient. Mais ils étaient motivés.
Pendant qu’on regardait défiler les saisons du haut de nos cinq bancs, eux nous
l’ont fait à l’envers. À coup de théâtre populaire par là, de culture pour tous par
ci et de théâtre hors les murs, ils ont ratissé le ter-ter* de long en large !
On n’a rien demandé nous. Touchez pas à nos bancs. C’est tout. Le reste on s’en
fout un peu.
- Pardon ? La culture ? LA DÉMOCRATISA… quoi ?
Laisse tomber ! On la connaît l’histoire. Nous aussi on attend Godot ! Il a quitté
la cité un jour, comme ça, sans prévenir. Certains disent qu’il est au bled, qu’il a
racheté un vieux cabaret sur la corniche à Oran, d’autres qu’il est tombé après un
braco qui aurait mal tourné. Enfin, il est plus là.
- Mets du volume Zaki, laisse-moi kiffer ce morceau !
« It’s like a heartbeat… A beat street… »
La rue.
C’est ici que la culture est venue nous chercher.
D’un ghetto l’autre.
De New York au 9.3 il n’y a eu qu’un pas, ce fut un pas de danse.
On savait même pas qu’on était en plein dedans, c’est vous dire si on y était
jusqu’au cou dans la culture.
Un bout de carton, un magnétocassette, un réverbère comme projecteur.
La rue comme scène nationale. Alors pourquoi irait-on s’enfermer dans vos musées
du verbe ? Dans vos boîtes de Pandore qu’on ne prend même pas la peine de brûler
pendant la saison des émeutes.
Ça sent l’arnaque votre affaire !
La première fois que j’ai vu du hip-hop dans un théâtre, j’ai eu comme l’impression
de boire un vieux whisky qu’on aurait eu le mauvais goût de diluer avec de l’eau.
Sacrilège ! Tord-boyaux ! Cache-misère !
Nos quartiers sont sensibles et demandent toute notre attention.
Alors pourquoi ces détours pour dire la culture des autres ?
Culture émergente. Musique actuelle. Art de la rue. Poésie urbaine…
Culture d’en bas pour France d’en bas…
« Moi, quand j’entends les mots culture urbaine… je sors… »
La rue.
« Les politiques culturelles… C’est encore de la politique !!! », gueulerait de nos
jours un Léo Ferré plus déchaîné que jamais.
Gamins, à Aubervilliers, nous pensions que le Théâtre de la Commune était une
annexe du tribunal d’instance situé tout près de lui. Nous nous en méfiions comme
de la peste et faisions des détours pour nous rendre à la piscine municipale
beaucoup plus accueillante à nos yeux.
Alors qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui pour changer la donne ?
Pour ma première création au théâtre, j’ai emmené toute ma cité sur scène.
Avec Les Cinq Bancs créé en mars 2009 au TGP, j’ai voulu rendre à la rue ce qu’elle
m’a donné ; une vision du monde, de notre petit monde et « Représenté » comme on
dit dans le rap.
Ainsi, au sortir de la première, un ami d’Auber m’a confié la crainte qu’il avait de
voir mon propos intellectualisé, dilué parce que joué dans un centre dramatique
national. T’inquiètes mon frère ! C’est une question de confiance. Les rencontres
se font à deux. À nous de rester vigilants et de ne pas nous faire carotter par ces
politiques culturelles qui nous enferment dans le rôle de faire-valoir à subventions
une fois l’an.
Notre culture c’est aussi de LA CULTURE !
Et certains l’ont compris. Ouf !
Les rencontres se font à deux…
Aujourd’hui on tend à nommer des assistantes sociales à la tête des grandes
institutions culturelles, demain vous verrez qu’on nommera des Général Custer
pour diriger nos CDN.
« Votre mission si vous l’acceptez sera de pacifier les tribus d’Indiens
récalcitrants et de les faire sortir de leurs réserves bétonnées… »
Apprenez l’indien et nous, nous sortirons peut-être de nos réserves, de nos
préjugés. Et la rencontre sous le tipi se fera autour d’un calumet trois feuilles et
d’un tord-boyaux pur malt non dilué. Promis.
En attendant faisons un rêve…
« Vous en avez assez de cette bande de racaille ?
Eh ben… On va vous en débarrasser !…
… On va les emmener au théâtre !!! »
* Territoire.
- Parole donnée
- Leslie Kaplan
- Eddy Pallaro
- Esquisses d’une éclipse
- Nathalie Fillion
- Du méfait des assignations identitaires
- La Bottega
- Culture et culture
- La culture et la foule
- Pourquoi la destruction du service public de l'art et de la culture se fait-elle dans un silence général?
- Assis sur nos bancs
- Le Couronnement d’Amanie
- L’autre est toujours un plus pauvre
- M’adam’a, synopsis d’un portrait de demandeuse d’asile
- Pour dépasser les catégories hommes / femmes : vers un féminisme relationnel
- «La majorité c’est personne, la minorité c’est tout le monde.» Gilles Deleuze
- Anne Nordmann